Article René Raybaud « Poète et paysan »
Aller à la rencontre de René Raybaud, c’est retrouver la beauté de la Provence, la poésie, la chanson de la langue provençale.
Nous avions rendez-vous à la fraîcheur de sa maison de village, et c’est Rosy, son épouse, qui m’a accueilli, avec un petit accent Italien très agréable, aussi léger qu’un murmure, et c’est elle aussi qui m’a annoncé à René, un bel homme de 88 ans au regard clair et en pleine forme. Je me suis senti tout de suite conquis par le poète et sa muse… Et puis devant un petit verre de vin d’orange, à l’ombre d’une fin d’après-midi de juin, sous le regard amusé de Rosy, nous avons commencé à discuter.
Rencontrer d’abord le poète était évident, en parlant longuement de son enfance. « Je suis Italien par ma mère, en Ligurie me dit-il, et je suis fier de l’être ». Ce qui me fit penser à Italo Calvino, ce romancier qui avait bercé une partie de la mienne, car René aurait pu très bien sortir d’un de ses romans. Il évoqua ensuite son service en Algérie, parfois même sous le feu des combats, ensuite sa vie de paysan, attaché à sa terre, enfin tout ce qui a façonné la richesse de la vie d’un homme, car René se plaît à dire que ce titre de paysan, il le revendique volontiers. Mais je cherchais dans son regard, le vrai mystère du poète, j’attendais qu’il révèle enfin le secret de sa passion première. « C’est à quarante ans que j’ai commencé à écrire. C’est là qu’a commencé cette aventure » dit-il en me montrant d’un geste la table pleine d’une vingtaine d’œuvres sur les plantes, les vignes, les oiseaux, les arbres, un témoignage impressionnant, de poèmes. Cinquante ans d’écriture, qui resteront sûrement, dans l’histoire provençale, un témoignage pour les générations futures.
« Voici mon espace de travail », dit-il en me désignant sous une bibliothèque pleine de dictionnaires et de livres en provençal, un fauteuil, et devant, un tabouret avec un coussin pour les jambes. Je me suis senti privilégié que le poète se livre ainsi avec tellement de simplicité, de sincérité, de passion… « J’ai commencé à écrire à l’âge de quarante ans, des poèmes en Occitan. Nommé maître de gai savoir du Félibrige, j’écris comme ça sur une feuille, c’est Rosy qui tape à la machine ». Elle sourit car en fait, il s’agit de l’ordinateur… C’est elle aussi qui traduit en français et en italien, qui met en page ces œuvres, primées au Concours des Félibres de Toulouse, étudiées même dans une université japonaise, car il semblerait que l’Académie de la langue Provençale soit enseignée dans plus de 185 universités par le monde.
Nous aurions pu parler ainsi longtemps, mais nous avions rendez-vous pour une exposition de photos sur ses sculptures, et la traversée du village me démontra encore que René était très apprécié et reconnu. Cette exposition nous emmena ensuite dans un jardin à proximité, que je qualifierai d’extraordinaire pour paraphraser la chanson de Charles Trenet. Et c’est enfin sur ce lieu que les talents du sculpteur se sont révélés, et ma description n’est sûrement pas à la hauteur de la créativité du poète-paysan. En effet, après avoir travaillé toute sa vie dans la colline et dans les vignes, il a récupéré toutes sortes d’outils, usés par le temps et l’usage, ayant servi pendant des décennies et connu tant de mains et la fatigue de tant d’hommes, ayant biné, fauché, soulevé la terre et son parfum au printemps, et il leur a donné une deuxième vie dans son jardin… Tous ces outils jonchés sur des piquets sont devenus des sculptures, où l’imagination n’a plus de limite, des oiseaux aux formes fantastiques prêts à prendre leur envol, des têtes de mammifères fantasmagoriques, des insectes qui semblent garder, comme des anges gardien sortis d’une mythologie provençale, un jardin où légumes et arbres fruitiers poussent, comme si l’œuvre de la terre se confondait avec la créativité de l’homme. C’est un jardin et un musée à la fois, ou les visiteurs peuvent admirer des œuvres d’art et apprendre la nature, surtout les enfants qui n’ont que faire des limites de la rationalité.
Nous avons terminé la soirée avec des amis de René, sur une terrasse et sous un olivier, je n’avais plus envie de les quitter, de partir de Seillons source d’Argens.
Certains disent que le provençal et ceux qui le portent sont d’un autre temps. Pourtant, malgré les effets changeants et superficiels de la mode, René Raybaud reste le témoin d’un temps sans cesse renouvelé, celui d’une langue provençale qu’il exprime avec poésie, et par la création de sculptures redonnant une vie à des objets oubliés.
Edition 2023 - Christian Vacquié