Le micocoulier
Planté au milieu de la place du village, je suis là depuis trois siècles. Trois siècles que je regarde passer les hommes, que je les écoute. Mon ombre est douce et recherchée par les plus avertis, je laisse passer juste ce qu’il faut de lumière pour reposer les yeux, et accompagner les siestes des longues après-midi d’été. Le claquement des boules et les éclats de rire des joueurs de pétanque, le cri des enfants, le chuchotement des commères, montent jusqu’à moi, et je suis fier d’en garder le secret. Parce que mon écorce est grise, et que mon tronc ressemble à un pied d’éléphant, le poète du village m’appelle Hannibal, quel drôle de nom.
Avant, les charretiers venaient couper de longues branches fines, pour confectionner des fouets tressés. Les paysans eux, fabriquaient des fourches, et les tonneliers, des cercles de barriques. Mes fruits sont également délicieux, les enfants venaient les cueillir à la sortie de l’école. Dans la Rome antique mes ancêtres étaient plantés près des temples, et l’on célébrait des cultes sous leurs ramures. Installés près des églises, ils avaient le pouvoir de protéger le lieu et ils servaient, dit-on, de chasse-diable. Les Gaulois pensaient que nous étions immortels, car même coupés à ras de terre, nous sommes capables de repousser inlassablement.
Vous qui passez près de moi sans savoir qui je suis, venez vous asseoir sur le banc que j’abrite, et je vous chuchoterai mon nom : je m’appelle lou fabrigoulier en Provençal, ou si vous préférez le micocoulier.
Edition 2023 - Christian Vacquié