La dernière halte de Marie-Madeleine
De l’extérieur, côté chœur, on aperçoit deux clochetons, ébauches de tours évoquant le vrai clocher qui ne fut jamais élevé. Côté façade principale, le regard bute contre des pierres brutes, car l’entrée majeure n’a jamais été achevée. Selon la formule d’Henri Lacordaire, ce monument étiré figure comme « un vaisseau échoué par hasard dans une plaine solitaire ». La basilique royale de Saint-Maximin, observée à un bon kilomètre de distance laisse bouche bée. Devant la noblesse architecturale du plus vaste édifice gothique du Midi, Prosper Mérimée s’extasia sur « la légèreté extraordinaire de la construction ». Sous ces voûtes soufflent deux mille ans d’histoire. Le mariage du prince Félix de Luxembourg a écrit, le 21 septembre 2013, une nouvelle page.
Les abords de Saint-Maximin (comptant 16000 âmes, en 2013) sont, en ce début de troisième millénaire, balisés de grands panneaux annonçant le « troisième tombeau de la chrétienté » – après Jérusalem et Saint-Pierre de Rome -, la sépulture de celle qui était restée au pied de la Croix pour y pleurer son Seigneur et qui fut la première à le voir Ressuscité et à l’annoncer. Un tombeau, en bien des endroits, rongé par les eaux de pluie qui, à la longue, mettent en péril voûtes et colonnes. Dès janvier 2014, le bas-côté sud du sanctuaire sera fermé pour travaux durant quatre ans.
Selon une tradition immémoriale, après la Crucifixion, la famille de Béthanie et quelques amis, tracassés par les pharisiens, s’enfuirent de Palestine par la Méditerranée et atteignirent les futures Saintes-Maries-de-la-Mer, en Camargue. Marie-Madeleine se dirigea vers ce que le poète latin païen Lucain décrit comme la « forêt sacrée de Marseille », forêt froide aux essences septentrionales, insolites en Provence, à l’ombre d’une falaise d’une douzaine de kilomètres de long. Madeleine vécut là trente ans, dans une grotte – baumo en provençal -, ensuite aménagée en chapelle. Ayant eu la révélation de sa fin prochaine, la solitaire se rendit à pied à une vingtaine de kilomètres de là, pour y recevoir des mains de Maximin, premier évêque d’Aquae Sextiae (Aix-en-Provence), la sainte communion avant de s’éteindre. Elle fut donc inhumée dans cette cité qui prendra plus tard le nom de Saint-Maximin.
Vers l’an 715, il fallut cacher le précieux réceptacle contenant les restes de la servante du Christ car les Sarrasins ravageaient la Provincia. Charles II d’Anjou, neveu de saint Louis, va redécouvrir en 1279 les reliques occultées et lancer, à l’emplacement d’une première église plus modeste, les travaux d’édification de l’actuelle basilique royale en 1295. Les frères dominicains s’y installèrent à demeure en 1316 et y furent présents jusqu’en 1970, à l’exception de leurs trois périodes d’expulsion, en 1791, 1880 et 1903.
Il revint à l’un des plus fameux d’entre eux, Henri Lacordaire, d’avoir en 1859 racheté le couvent de Saint-Maximin et donné le signal des réparations après les déprédations de la Terreur. Sous la Révolution, en effet, la basilique, vouée à la Raison et au magasinage militaire, échappa au pire grâce à Lucien Bonaparte, alias Brutus, frère de Napoléon, marié à la saint-maximinoise Christine Boyer, sœur du tenancier de l’auberge de Marathon (nom révolutionnaire de Saint-Maximin), laquelle fonctionne toujours en 2013, mais sans son nom grec… Pour l’anecdote, l’organiste joua La Marseillaise tandis que le régicide Barras inspectait le monument déchu ce qui, dit-on, sauva les grandes orgues de 1773, dues au frère Jean-Esprit Isnard, et qui, aujourd’hui restaurées, résonnent formidablement lors des cérémonies. Une main opportuniste peignit alors le profil excessivement napoléonien de Lucien à la place de celui de l’Enfant Jésus, dans un tableau de Michel Serre consacré à sainte Anne. Cette curiosité subsiste jusqu’à nous.
Au cours des siècles, la Basilique attirera pontifes, souverains et pèlerins venus de toute l’Europe pour prier « la fidèle Amie de Jésus » et « l’Apôtre des apôtres ». Pas moins de dix papes sont signalés d’Etienne IV à Benoît XIII, ainsi qu’une quarantaine de princes régnants : Charles VII et Marie d’Anjou, Louis XI et Charlotte de Savoie, Louis XII et Anne de Bretagne, François Ier et Claude de France. Louis XIV, encore célibataire, arriva en 1660 avec sa mère Anne d’Autriche, suivi par soixante carrosses. De la foule des pèlerins, au cours des siècles, émergent quelques profils notoires venus discrètement : Mme de Sévigné, Charles de Foucauld, Frédéric Mistral, Charles Maurras, le général et Yvonne De Gaulle, etc.
De nos jours, cent vingt mille visiteurs en moyenne arpentent chaque année le quartier médiéval maximinois et viennent faire une halte auprès de Marie-Madeleine dans sa Basilique inachevée, pour, comme elle assise aux pieds du Seigneur, élever un regard vers l’Eternel.
www.mariemadeleine.fr – www.paroissesaintmaximin.fr
Edition 2014 - Père Florian Racine