En forêt de Sainte-Baume, sur les chemins de l’écoformation
En remontant le long du chemin, mes pieds se déposent dans le moelleux d’un tapis humide de feuilles de hêtres, d’érables, de chênes et de tilleuls. Après la pluie, la forêt s’ébroue dans un manteau de brume. Ici en montagne, les hêtres révèlent déjà leurs branches nues de couleur mauve. Ma respiration se cale sur le rythme de mes pas, je m’arrête par moment pour écouter la forêt, le souffle du vent sur la falaise et dans les pins sylvestres.
Peu importent les conditions climatiques, dès que possible, je pars marcher. Mon corps récupère sa porosité avec le monde, le vent me traverse, comme chaque son et odeur que je capte, mes sensations ravivent un tissage intime, ma structure cellulaire. Ce corps-animal vivant et vibrant retrouve sa matrice, son unité, frémissant au vent glacé, à l’odeur d’humus. Ici en forêt, en montagne, je me remets en “forme”.
Comment avons-nous pu rendre invisible la place fondamentale de la nature dans nos quotidiens?
Il semblerait que nos vies urbaines et notre monde social éclipsent au moins 200 000 ans (pour les Homo sapiens) de vie “dehors”, au cœur des écosystèmes terrestres. C’est pourtant eux qui nous ont donné naissance, façonnant nos organes, notre corps, nos sens en parfaite adéquation.
Au-delà de la forme biologique, la terre continue de nous former au quotidien : c’est ce que l’on appelle l’écoformation. Elle explore comment nous nous formons au contact du monde, comment les matières, les lieux, les paysages, les éléments naturels constituent notre expérience du monde et composent petit à petit notre grammaire terrestre intérieure. Qu’est-ce que cette écoformation génère en nous? Quelle est notre histoire personnelle d’écoformation (écobiographie)?
La terre nous forme à son contact, dans des immersions au cœur des écosystèmes, par nos jeux extérieurs, nos activités comme jardiner, faire du bois, être à la chasse, partir en randonnée, se laisser aller à des moments de détente et de rêverie au bord de l’eau, sur les plages, au sommet des montagnes… Elle nous forme depuis l’enfance au travers du quotidien, de nos contacts répétés au sein de tel ou tel milieu. Nous apprenons ainsi à marcher en montagne, à trouver notre équilibre, à reconnaître avec notre corps un temps qui change, l’annonce de l’orage. L’écoformation a un impact important dans certaines professions. Elle est une part fondamentale des apprentissages nécessaires au métier de berger-ère par exemple. Par ailleurs, elle influence notre sentiment de bien-être en fonction des lieux au sein desquels on se trouve. Une personne ayant grandi en plaine et qui vient vivre dans un territoire montagneux peut se sentir angoissée, mal à l’aise.
Les milieux naturels s’immiscent dans notre psyché, habitant notre monde intérieur, nos rêves, nos références poétiques, existentielles. L’écoformation construit notre être, nos repères, nos démarches, nos gestes. Grâce à elle, nos corps savent entrer en dialogue avec les écosystèmes et les éléments terrestres (la pluie, la neige, le vent…), développant un savoir-vivre avec le monde. Avec notre socioformation, elle favorise la création d’un sentiment d’appartenance et de sens. Il se peut également qu’elle contribue à nos choix de lieux de vie ou de métier.
Nous sommes la nature et nous avons été créés par elle, nous respirons l’atmosphère élaborée par les végétaux, intérieur et extérieur ne sont séparés que par une mince surface de peau. Prendre conscience de notre écoformation, voire la favoriser, la valoriser, écrire notre écobiographie, rendraient visible ce qui est si fondamental pour nous. Cela nous permettrait peut-être de faire des choix de vie plus respectueux de l’humain et des écosystèmes.
Edition 2022 - Orane Bischoff