Un visiteur insolite à Belgentier

Un visiteur insolite à Belgentier

Un visiteur insolite à Belgentier

Don Diégo arriva à Belgentier un jour d’octobre 1631, à l’heure la plus chaude, annoncé par un roulement de chariot et des cris d’enfants excités. Lorsqu’il s’avança majestueusement dans la rue étroite du village, précédé de son gouverneur, les curieux du premier rang reculèrent en désordre, bousculant ceux de derrière qui tendaient le cou pour mieux voir. Peiresc attendait son visiteur devant le portail, bras ouverts en geste de bienvenue, le visage rouge de chaleur et d’émotion. L’érudit aixois réalisait en cet instant l’un de ses vœux les plus chers, rencontrer le fameux Don Diégo.

Peiresc raconta cette visite à ses amis parisiens, les frères Dupuy : Je ne sais si je ne vous ai point mandé que j’eus la curiosité de voir cet éléphant que vous avez vu il y a quelques années à Paris, lequel on ramenait d’Italie. Il vint passer par ici, où il fut trois jours, durant lesquels je le considérai bien à mon aise, et avec grand plaisir, ne l’ayant pas laissé échapper de mes mains avant que je ne l’aie fait peser, contre quelque vingt-six boulets de canon. Il me connaissait déjà quasi comme son gouverneur et je me laissais porter jusqu’à ce point de curiosité, ou pour mieux dire de folie, de lui mettre ma main dans la bouche et de lui empoigner une de ses dents maxillaires pour en mieux reconnaitre la forme, et ne les ayant pas assez bien pu voir sans les toucher, à cause qu’en ouvrant la gueule il les entrecouvrait avec sa langue. 

Cette rencontre avec l’éléphant illustre à merveille la personnalité de Nicolas Fabri de Peiresc, acteur central de la vie intellectuelle du début du 17e siècle. Son inlassable curiosité se manifeste dans son intérêt pour la zoologie, comme dans sa participation aux progrès de l’astronomie avec son ami Galilée, ou encore dans les premières pistes qu’il traça en égyptologie, linguistique et archéologie. L’observation des dents lui permet de réfuter la thèse des prétendus géants, les fossiles brandis comme preuve correspondant en réalité à des restes d’éléphants anciens. Son attitude chaleureuse envers l’animal révèle, enfin, sa bienveillance naturelle, loin de la sécheresse de cœur des rationalistes cartésiens. 

Quant à Don Diégo, les travaux récents d’une universitaire américaine, Louise Rice, permettent de suivre ce jeune éléphant d’Asie auprès des rois d’Espagne, d’Angleterre et de France, puis dans sa carrière d’illustre saltimbanque à travers les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie et la France. On sait désormais, sans risque d’erreur, qu’il fut reçu à Belgentier et son portrait apparaît dans les œuvres de plusieurs contemporains de Peiresc : Poussin, Rubens et le Bernin, pour les plus célèbres.

*Illustration ci-contre : L’éléphant imaginé par  Alex Géraudie pour les 350 ans de la mort de Peiresc – Mairie de Belgentier

Edition 2023 - Aline Peyronnet