Le Corbusier en Sainte-Baume


En 2013, la Région Provence Côte d’Azur a rendu hommage à Le Corbusier. De nombreuses manifestations se sont succédé. Reprenant la phrase de Mélina :
« En 1976, l’œuvre de Le Corbusier (Œuvre architecturale) a été classée au Patrimoine Mondial de l’Unesco. »
C’est le contexte dynamique et florissant de l’art sacré, après la seconde guerre mondiale, qui a permis la réalisation de ce projet utopique et le rôle très important du Père Couturier. Ce projet a été l’embryon de toutes les œuvres architecturales de Le Corbusier, en France et dans le monde. Une œuvre de renommée pour une partie des architectes parisiens, italiens, anglais, belges, japonais et américains. Toutefois, ce projet a été rarement présenté. A une époque où l’art se cherche, il faut avoir le courage d’envisager d’un œil favorable certaines utopies et ne pas redouter de faire certaines expériences, « dussent-elles paraître un peu téméraires » dira au début du siècle un archevêque de Besançon.
Après-guerre, Le Corbusier et le Père Couturier envisagèrent de construire une église souterraine : comme voulait le faire Paul Claudel à Chicago. Ils l’imaginèrent alors en Provence avec Fernand Léger et d’autres artistes : Edouard Trouin, possédé par ce lieu, Fernand Léger, le croyant en la révolution, le père Couturier, apôtre de l’art sacré et Le Corbusier, qui œuvrait entre tradition et révolution, pensèrent dans un bref éclair, fonder ici le Temple du Nouvel Âge. Magnifique élan qui, un court moment, put réunir les énergies de la fine fleur intellectuelle parisienne, et quelques fameux mécènes de la presse tels que « Le Figaro » et « Combat » Pour le Corbusier, ce projet fut le laboratoire de la chapelle de Ronchamp, du monastère de la Tourette et un témoignage d’une extrême audace dans cette quête de la lumière et du féminin.
Je vous invite à entrer dans cet univers où se côtoient l’utopie, la spiritualité, la création artistique. Les plus grands artistes de l’époque y ont collaboré, de Fernand Léger à Picasso et, même s’il n’a pas pu se réaliser, il imprégna fortement les milieux architecturaux et artistiques de l’époque. Projet inédit, controversé qui provoque encore aujourd’hui beaucoup d’intérêt, comme en témoignent les nombreux travaux de recherche conduits sur ce thème, dont ceux, entre autres, de Denis Ouaillarbourou dans les années 1990, et de Fora Samuel pour l’université de Cardiff.
Après la Libération, Edouard Trouin, poète, aménageur, géomètre, sourcier et occasionnellement restaurateur, a hérité de son père « d’un million de m2 au pied de la Sainte-Baume ». Il voulut alors, dans un élan à la fois mystique et un peu spéculateur, lancer l’idée ambitieuse d’une « Basilique Universelle de la Paix et du Pardon ».
S’appuyant sur la charge mystique du lieu et développant le thème de la communion avec la nature, le programme associait un ensemble hôtelier – la Cité temporaire -, et les logements la Cité permanente. Un comité fût créé en 1948 regroupant des artistes et intellectuels de tout bord politique : Léger, Matisse, Picasso, Rouault.
Ce projet devait symboliser la réconciliation de tous les peuples. Ils cherchaient une religion universelle. Selon Trouin, la Basilique aurait été grecque pour un Grec, Syrienne pour un Syrien, Arabe pour un orientaliste et, avec humour, un « objet sceptique » pour un Provençal.
Il était porteur d’architecture dans le paysage, d’architecture avec l’homme, de philosophie, d’écologie. Quelle belle utopie !
Cette réalisation serait d’un modernisme ne laissant la place à aucun compromis et d’une grande simplicité de matériaux, comme il se doit pour un édifice créé sous les auspices du père Couturier apôtre du mouvement de l’art sacré.
Edouard Trouin et Le Corbusier, quant à eux, voulaient obtenir un état comparable d’harmonie à travers la couleur et la forme, afin d’influencer les émotions et communiquer des idées. Le projet de la basilique de la Sainte Baume serait une initiation au pouvoir de l’harmonie sous toutes ses formes.
Ce projet s’intégrait foncièrement au paysage. En architecture, la pauvreté des moyens mis en œuvre peut aussi être une richesse. Utiliser la technicité la plus humble qui existe et qui fournit une architecture essentielle de justesse et de grandeur, toute l’échelle humaine. Avec une telle architecture on peut s’attendre aux plus nobles et grands tracés urbanistiques, dépourvus d’emphase, mais porteurs de grandeur. La vie à l’intérieur de ce pisé peut être d’une grande dignité et redonner aux yeux de la civilisation machiniste le sens des ressources fondamentales, humaines et naturelles.
Pour les membres de cet illustre Comité, la raison principale de cette entreprise, c’est d’avoir enfin l’occasion de réaliser collectivement un monument architectural, le plus beau possible, grâce à la participation des meilleurs artistes modernes. Sur le plan idéologique, ils sont tous d’accord au Comité sur ce qui a été écrit à l’évêque de Fréjus : « Dans notre temps de détresse et de divisions insensées, il nous a semblé nécessaire de donner une preuve tangible que les hommes de bonne volonté peuvent encore s’unir pour accomplir ensemble une grande tâche spirituelle… » et il s’engage « à amener à pied d’œuvre tous les artistes contemporains que vous désirerez. Il est à faire ce monument à intention sociale, pour la paix et pour le pardon. Il nous faut être présent à la basilique de la Sainte-Baume, grande manifestation de l’humanité ».
Ce projet qui devait promouvoir la réconciliation, commence à être victime de plusieurs types de divisions, dont la première à se manifester est une tension entre les préoccupations artistiques et humanistes de la capitale et celle de la province, qui vit plus difficilement le contexte de la reconstruction. La division se situe principalement au niveau de la culture et de l’intelligence symbolique de chacun des protagonistes. Les uns sont encore pétris de culture classique et romantique alors que les promoteurs du projet sont marqués par la refondation du sens qui a permis le modernisme. Ils vivent la basilique comme le creuset dans lequel se fondent tous les renouveaux. L’acceptation du devenir, de l’inattendu, de la différence. Cette tension se double de rivalités historiques entre le centralisme étatique parisien et les revendications régionales des pays de langue d’oc.
La principale source d’informations de cette aventure, qui dura de 1948 à 1965, vient du livre « Fallait-il bâtir le Mont St Michel » qu’a rédigé Mr Trouin en 1979. C’est de cette documentation accessible et de la connaissance de l’époque que peuvent se dessiner les grands traits de ce qui enflammera pendant quelques années les rancœurs locales et pour toujours l’esprit inventif et enthousiaste de cet homme, Edouard Trouin. Henriette son épouse fut témoin de cette aventure et des multiples rencontres artistiques et culturelles.
Jean-Claude Rendy découvre le projet en 1984. Fasciné, il prend contact avec Henriette Trouin et consacre des années à l’étude de ce fonds. Il me transmet sa passion, et aujourd’hui je m’attache à mon tour à promouvoir cette documentation utile à la connaissance de l’aventure de la Basilique universelle de la Paix et du Pardon, mais aussi de certains de ses plus fameux protagonistes.
Comme le dit Denis Emmanuel Ouaillarbourou « alors que le corps n’a jamais été autant surinvesti qu’aujourd’hui, la Basilique redit qu’il est aussi, et d’abord, le lieu des plus profondes expériences intérieures et spirituelles. Elle rappelle que l’intelligence est affaire corporelle. Dans un monde qui ne cesse d’être instable, cette casemate dédiée à la paix appelle au retournement des conflits, à l’affaiblissement de la violence personnelle et collective. Comme un phare ou une balise, la Sainte-Baume est au cœur de la sagesse universelle que touchent les architectures de Le Corbusier. »
Cette œuvre qu’aujourd’hui nous vous offrons et avec laquelle aucun des promoteurs ne se sont enrichis, nous rappelle que la générosité, l’humanisme, la tolérance sont des valeurs primordiales, et qu’au-delà de toutes les apparences, tandis que le commerce et les conflits ne cessent de s’étendre, combien la gratuité est une valeur humaine féconde.
Ce fonds d’une importance rare, en étant l’héritière, j’en ai fait don naturellement, je l’ai tendu à la Sainte- Baume. Il fait désormais partie aujourd’hui du Patrimoine Privé de la Commune de Plan d’Aups Sainte- Baume.
Ce projet fou pourra désormais se montrer, prendre vie au travers d’expositions et de conférences, le visiteur étant entraîné dans un pèlerinage spirituel et humaniste au milieu des formes, des couleurs, de la lumière et de la musique.
Edition 2025 - Jean Papera avec la contribution de Jovce-Lee Sommacco (Présidente de l'Association Trouin-LeCorbusier)