Du fin fond de la nuit des temps

Du fin fond de la nuit des temps

Du fin fond de la nuit des temps

Au début, la terre était plate. La mer engloutissait tout et les animaux marins, lentement, se posaient au fond une fois qu’ils avaient achevé leur vie. 

Un jour, un monstre effroyable arriva. La mer, effrayée, se retira, laissant la terre à nu. Ce monstre, certains disaient que c’était un cheval immense, une cavale aux dents acérées venue des enfers, faisant régner la terreur.

Mais un bon géant venu d’ailleurs vint le défier. Ce redoutable guerrier s’appelait Gargarios ou Gargarius. On le connaît plus tard sous le nom de Gargantua. Il circulait dans tout le pays pour chasser les démons. Nombreux sont les lieux qui portent encore sa trace. Il est resté très vivant dans la mémoire des gens, surtout dans les légendes. Beaucoup se souviennent de son appétit énorme, engloutissant troupeaux entiers. Quand il passait quelque part, il laissait des empreintes grandes comme des pays. Il soulevait des montagnes et creusait des vallées partout où il passait.

A la fin d’un de ses voyages, il arriva dans cette contrée qui serait un jour la Sainte-Baume.

En le voyant arriver, la bête poussa un tel rugissement que la terre se souleva. Et la bataille s’engagea. Et elle dura, dura, dura si longtemps que la terre se retourna comme une crêpe, s’aplatit et se cassa, dégageant une grande et belle falaise, où désormais ce qui avait été autrefois le fond de la mer avec toutes ses carcasses des animaux morts, se retrouvait maintenant près du ciel. La cassure laissa beaucoup de grottes et de cavernes, où l’eau de pluie s’infiltre encore et encore et irrigue tout le pays même par temps de sécheresse.

Enfin, le guerrier remporta la bataille. Il renvoya le monstre au fin fond des enfers où l’on peut encore l’entendre gémir par les soirs de tempête.

Quant à Gargarios, il était épuisé. Aussi se coucha-t-il sur le mont Garlaban, juste à côté, pour se reposer. Depuis il dort. Surtout ne le réveillez pas! 

Si vous venez à la Sainte-Baume par Gémenos, arrêtez-vous avant d’attaquer la rude montée et retournez-vous. Vous verrez alors ce géant magnifique endormi, tel un gisant. Depuis, il garde le pays. C’était il y a bien longtemps, avant la venue des Mères et d’Artémis, avant l’arrivée de Marie Madeleine, des moines, avant le passage des rois et des pèlerins.

L’histoire a gardé un pâle souvenir de Gargantua, pratiquement effacé dans l’ancien nom de Saint Jean de Garguier à Gémenos : Locus Gargarius puis Gargaria. Le Saint Jean Baptiste sauvage qu’on trouve à l’entrée de la chapelle de Saint Jean de Garguier n’en est-t-il pas un portrait christianisé ? Plus loin, dans la Sainte Victoire, il existe aussi un gouffre Garagaï, où ont été précipités 300 teutons, un gouffre témoin peut-être d’un passage du géant ?

Ps : Pour cet article je me suis appuyé sur les travaux d’Henri DONTENVILLE, fondateur de la Société de Mythologie Française notamment de son ouvrage Histoire et géographie mystiques de la France, ainsi que sur La France mythologique. J’ai également fait appel au corpus du Centre de recherche sur l’Imaginaire fondé par Gilbert DURAND.

Edition 2022 - Bernard Grimonet