Bauxite 2021, l’année de son bicentenaire
Il y a deux siècles, en 1821, une roche de couleur rougeâtre, constituée d’éléments sphériques de la grosseur des petits pois à celle des billes de jeux de la cour d’école, était découverte sur la commune des Baux de Provence. Cette roche inconnue initia une curiosité scientifique, suivie très rapidement d’une aventure industrielle, toutes deux extraordinaires en France : c’est cet événement que je me propose de Vous raconter.
1 – La Découverte :
La découverte de la roche interpella un industriel familier du minerai de fer de Lorraine (la minette) par ressemblance à sa structure (oolithe) et la présence de fer due à la couleur rougeâtre. Notre industriel demanda un Permis de Recherche (démarche administrative nécessaire pour accéder à une ressource minière) auprès du Service des Mines en charge de cette juridiction. Mais Monsieur Pierre Berthier (1782-1861) l’Ingénieur des Mines en charge du dossier d’instruction, informé de la récente découverte de la nouvelle roche, demanda à l’industriel de lui fournir quelques échantillons pour étayer et justifier cette demande de permis. Les échantillons en main, l’ingénieur des Mines observa que les prétendus minerais de fer ne correspondaient pas à la connaissance qu’il en avait et conséquemment s’adressa aux chimistes pour qu’ils procèdent aux analyses desdits échantillons de la roche. Les premiers résultats d’analyses chimiques confirmèrent la présence de fer, mais pas en quantité suffisante pour justifier l’appellation de minerai de fer et la demande de permis de recherches. Malgré tout, la couleur rougeâtre et la faible teneur en fer de la roche laissa notre ingénieur des mines perplexe, ce qui l’incita à demander un complément d’analyses pour identifier les éléments chimiques manquants et ainsi pouvoir nommer la mystérieuse roche.
Les divers constituants de cette roche s’avérèrent : Hydroxydes d’aluminium, Oxydes de fer, Oxydes de silicium, Carbonate de calcium, Oxydes de Titane.
L’existence de l’élément chimique Aluminium métal venait d’être identifié en quantité importante (de l’ordre de 30 %) dans la roche que le chimiste Pierre Armand Dufrenay (1792-1857) nommait Beauxite en 1844 puis renommée ultérieurement, par Deville, Bauxite en 1861, en hommage au lieu de sa découverte : Les Baux de Provence.
Notre roche initiale, de par sa teneur en Aluminium va acquérir une valeur marchande et prendre de ce fait, l’appellation de Minerai d’aluminium.
La Bauxite va captiver le monde des chimistes qui vont en extraire l’Alumine (oxyde d’aluminium, Al2O3), puis l’Aluminium métal en 1854 par le scientifique Henri Sainte Claire Deville (1818-1881), qui va démontrer ses remarquables propriétés physiques et mécaniques.
La parution en 1869 du Tableau périodique des éléments chimiques de Mendeleïev illustre le riche contexte scientifique de l’époque.
La production industrielle de l’alumine débute en 1860 à Salindres, près d’Alès, par l’application du procédé Deville–Péchiney, mis au point sous l’impulsion de Messieurs Sainte Claire Deville, Le Chatelier, Jacquemart et Morin, au sein de l’usine de Monsieur Merle.
La promotion de l’aluminium métal, extrait de la Bauxite française, sera assurée par l’Empereur Napoléon III lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1855, à laquelle participaient plus de 25 nations.
En 1886, deux scientifiques, l’un français Paul Héroult, l’autre américain Charles Martin Hall, mettront au point simultanément, le même procédé de fabrication de l’Aluminium métal par Electrolyse à partir de l’alumine.
Puis en 1887, l’autrichien Karl Bayer, déposera un nouveau brevet de fabrication de l’alumine par voie basique. Ce procédé industriel est toujours en vigueur pour l’extraction de l’alumine à partir des Bauxites.
2 – Cycles Industriels :
Trois types de cycles Industriels distincts vont se succéder en divers lieux du Sud de la France en utilisant au mieux les ressources locales et dans le but d’atteindre le stade ultime du produit : l’Aluminium métal.
Cycle d’exploitation de la Bauxite :
La Bauxite fut exploitée successivement par grattages à partir des affleurements puis de façon souterraine de plus en plus profondément en suivant la couche de bauxite (en aval pendage et hors d’eau avant l’introduction des pompages en mines) et aussi par mine à ciel ouvert.
Var : Rougiers, Mazaugues, la Celle, Brignoles, Le Val, Vins, Carcès, Cabasse, le Thoronet, le Cannet des Maures. Bouches du Rhône : les Baux de Provence, Allauch. Hérault : Villeveyrac
Cycle de transformation de la Bauxite en Alumine :
Principe d’extraction : la bauxite est concassée, broyée en voie humide puis attaquée en milieu basique par de la soude (Na OH) en autoclaves sous une pression de 40 bars à une température de 240°C.
On obtient une solution d’aluminate de soude, lui-même décomposé en alumine hydratée.
L’alumine obtenue est un tri-hydrate d’aluminium Al2O3(H2O)3 qui, passé au four rotatif à 1050°C, donnera l’alumine sous forme de poudre blanche.
Gard : Usine de Salindres 1855, localisée à proximité du bassin houiller (charbon) d’Alès pourvoyeur d’énergie thermique.
Bouches du Rhône : Usine de Gardanne 1893 et Usine de la Barasse 1908 (Est de Marseille), proche du bassin de lignites de Fuveau -Gardanne, pourvoyeur d’énergie thermique.
Cycle des Usines d’Electrolyse :
Le procédé consiste en la réduction électrolytique de l’alumine en aluminium métal dans des cuves à une température de 960 °C où plongent deux électrodes : une anode (pôle +) en carbone et une cathode (pôle -) à laquelle se dépose l’aluminium métal en phase liquide. Ce procédé nécessite la circulation d’un courant électrique de 360 000 Ampères sous une tension de 4.2 volts ce qui requiert une très grande puissance électrique.
Alpes, Savoie : Saint Jean de Maurienne
La création de barrage hydroélectrique en montagne permettra d’avoir à disposition cette puissance électrique ;
Pyrénées atlantiques : Noguères (création en 1960) au sein du complexe industriel de Lacq et de la centrale thermique d’Artix alimentée par l’utilisation du gaz du gisement de Lacq.
Bilan matière de Fabrication :
5 tonnes de Bauxite permettent l’extraction de 2 tonnes d’Alumine qui produiront 1 tonne d’Aluminium métal.
3 – Constats :
La découverte de la Bauxite en France, présente géologiquement dans le Sud, a constitué un tremplin régional industriel, économique, social et démographique indéniable. Elle apporte la renommée de la France, qui pendant soixante années de 1860 à 1920, assume le titre de Premier Producteur et Exportateur de Bauxite dans le Monde.
Régionalement, les diverses activités liées à la bauxite (exploitations minières, usines de transformation de la bauxite en alumine et usines d’électrolyse) auxquelles s’ajoutent les transferts de produits par route, rails et mer ont marqué de leur sceau spécifique leur environnement géographique (Provence, Alpes, Pyrénées).
Ce puzzle industriel, de la Bauxite à l’Aluminium métal, qui a duré de 1860 à 1990, pendant 130 ans, contribue fortement au développement de l’Industrialisation de la France lors de la seconde partie du XIX et pendant le XX siècle, comme le firent les industries du Charbon et de l’Acier, sans oublier la renommée des scientifiques français de la chimie.
L’Histoire de Notre Bauxite s’inscrit aujourd’hui au travers de son Patrimoine géologique, Industriel et territorial au travers du Parc Naturel Régional de la Sainte Baume que nous nous devons de rappeler et de respecter, ainsi qu’au travers du Musée des Gueules Rouges de la commune de Tourves, qui illustre ce proche Passé Travailleur des HOMMES de la Mine et de l’Industrie.
Cet Anniversaire des 200 ans de la Découverte de la Bauxite, me permet aujourd’hui, de rendre Hommage à la Bauxite de Provence et à Tous Ceux qui, de près comme de loin, ont contribué et accompagné son Histoire et sauront, au cours du temps, la faire vivre.
Edition 2022 - Michel SALVI, Géologue, 30 années de géologie dont 10 consacrées à la bauxite en Provence (1968-1978)