L’amandier
Près d’un petit cabanon abandonné, un amandier s’est installé, planté sans doute par les vignerons. En novembre, l’arbre lance sa silhouette sombre dans le ciel incendié par le soleil couchant, comme un chevalier errant aux portes de l’hiver.
Son tronc élancé et tortueux, son écorce rugueuse et dure, le rendent austère, c’est sans doute pour ça que je l’ai appelé Don Quichotte.
Cultivé depuis plus de trente cinq siècles en Chine et dans tout le bassin méditerranéen, cet arbre est porteur d’une légende dans la mythologie grecque. Une déesse nommée Phyllis était amoureuse d’Acamas, parti pour la guerre de Troie qui dura si longtemps, et la belle croyant qu’il ne reviendrait pas en mourut de chagrin. Héra, la déesse des amours fidèles, attendrie par cette belle histoire, transforma Phyllis en amandier. Lorsque Acamas revint, il ne put qu’étreindre l’arbre avec désespoir : celui-ci se recouvrit alors de fleurs blanches, comme le voile de la mariée, avant même l’apparition des feuilles. C’est ainsi que nos amandiers fleurissent toujours, évoquant le symbole de la grâce virginale.
Aux premiers jours de l’été, quand apparaissent les amandes fraîches et craquantes sur les marchés de Provence, l’arbre porte ses feuilles depuis longtemps déjà : il est l’hôte de la cigale et du rossignol, qui, une pour le jour et l’autre pour la nuit, offrent à la nature et à l’homme leurs chants, comme l’arbre son fruit.
Dès les premiers jours de l’automne, c’est pour moi comme un rituel : je rends visite au vieil amandier, et après avoir écrasé quelques-uns de ses fruits entre deux pierres de taille du cabanon en ruine, je m’adosse au tronc accueillant pour savourer encore ces instants d’amitiés et goûter la sensation d’arrêter le temps.
Edition 2021 - Christian Vacquié