Conversation en Sainte-Baume 2019
Christian : Lors de notre dernière conversation, nous avons évoqué quelques aspects sacrés de notre belle forêt de la Sainte-Baume, mais aussi la rencontre avec les arbres. De nombreuses études démontrent aujourd’hui que la forêt contribue à améliorer notre santé physique et psychique. Toutefois, il serait dommage que nous n’abordions pas l’imaginaire des forêts, la forêt des Elfes, des Lutins et des Fées, car ces bois sacrés sont aussi une source d’inspiration pour les conteurs…
Nelly : … de rêveries pour les petits et les grands, bien sûr, et aussi d’observation pour les Elficologues et autres chercheurs qui étudient le Petit Peuple. Je vous recommande à ce sujet les très beaux ouvrages de Pierre Dubois, ses encyclopédies très complètes sur les Fées, sur les Lutins et sur les Elfes…
C : Pour ma part ayant parcouru ces bois en tous sens, de jour comme de nuit, les soirs de pleine lune, ou les nuits de brouillard, parfois sous la neige, et le plus souvent seul, dans une solitude bienveillante qui aurait pu aiguiser mon imagination et aller jusqu’à l’hallucination, j’avoue que je n’ai jamais eu la chance de voir un elfe, un lutin ou une fée, ou plus, le petit peuple des forêts. Ce qui ne m’empêche pas d’écrire des contes, et d’en raconter même la nuit, partageant la certitude de leur existence, avec des parents et des enfants.
N : Un joli poème irlandais déclare d’ailleurs que les fées se montrent aux agriculteurs et aux bûcherons, et non aux poètes et aux peintres. Ce petit peuple semble cultiver le mystère… Il a la réputation d’être discret, « les fées n’aiment pas que l’on parle d’elles », comme le répète souvent Pierre Dubois…
C : J’ai tout de même un souvenir étonnant : un jour, au cours d’une promenade avec ma fille dans un sous-bois, alors que nous nous étions assis près d’une source, elle me désigna du doigt un tronc couché sûrement depuis longtemps, car il était recouvert d’une belle mousse, en affirmant la présence de petits êtres qui la regardaient. Regardant à mon tour dans cette direction, je ne voyais rien… Après réflexion, je me suis dit que les enfants ont sûrement une sensibilité particulière pour observer des phénomènes invisibles, et que nous, adultes, avons perdu cette capacité…
N : … ou simplement mise en sommeil ?
C : Lorsque j’étais enfant, en vacances chez mes grand-parents, je me cachais dans de grands chênes centenaires, et je restais des heures entières à parler avec des êtres magiques et invisibles. Etait-ce mon imagination, ou une réalité d’enfant, une capacité d’accéder à une autre dimension? Au risque de passer pour un fada, je m’abstiendrai de donner une réponse à cette réflexion.
D’ailleurs, dans les contes provençaux, et dans les discussions, quand on parle de quelqu’un qui a un comportement bizarre, ou qui rêve plus que de coutume, on le traite de « fada ».
Il y a bien longtemps, dans les villages, il y avait toujours un fada, un homme plutôt sympathique, un peu demeuré, mais qui était respecté, habillé et nourri par la population. Je me rappelle de celui du Revest près de Toulon, qui avait son cabanon dans le village. Comme il avait souvent l’air absent, en regardant dans le vide, on disait qu’il était ailleurs, dans l’autre monde. En Provençal, le fada, c’est un peu celui qui a accès au monde des fées, appelées aussi las fadas….
N : Très juste! et même si leurs racines latines les distinguent, ce rapprochement est intéressant…
C : Mais avec un peu d’imagination, le rouge gorge, et le roitelet ne sont-ils pas les petits lutins qui chantent et nous narguent parfois en nous suivant de branche en branche? Le geai, un elfe bleu qui s’amuse à imiter la buse pour effrayer ses congénères? La chouette hulotte, un petit esprit de la nuit? Et la chauve-souris, un Sylphe de noir vêtu? Le petit monde de la forêt est peut être caché là où on l’attend le moins…
N : Le pouvoir de l’imagination est sans limite! Nous nous devons de le cultiver, rester ouverts à toute possibilité, et permettre à l’impossible de nous surprendre… Vieillir sans être adulte en somme!
C : Mais pour autant, comment ne pas rêver dans les bois sacrés de la Sainte-Baume, d’un petit monde de la forêt, où la nuit les Sylvides « esprits des arbres » sortiraient de leur cachette pour nous saluer, où les Farfadets viendraient danser, jouer de la flûte et du tambourin sur les sentiers les nuits de pleine lune…Ces nuits-là, sortirait des bois sacrés une Licorne magnifique, juste pour nous guider vers la source où se baignent les Naïades. Peut-être même que les Sylphes ou Sylphides, « esprits de l’air », feraient des farandoles lumineuses dans la ramure des hêtres…
N : A défaut de savoir rencontrer ces êtres merveilleux et fantastiques, nous pouvons continuer à les imaginer, à les inventer sous nos yeux… L’imaginaire n’est-il pas la porte du Rêve, peut-être même de la Connaissance?
C : C’est juste ce qu’il manquait pour mettre un peu de magie à notre belle balade.
Edition 2019 - Nelly et Christian Vacquié, auteur du livre « Contes et légendes en forêt de Sainte-Baume »