La Santa Bauma
Souvent, le premier regard, la première sensation, nous révèle la dimension et la force d’un lieu. C’est ce que j’ai ressenti en découvrant la Sainte Baume.
En arrivant sur ce grand plateau aride balayé parfois par le mistral ou les rafales humides du vent d’Est, la forêt apparaît sous l’imposante montagne blanche, installée là comme par magie, à l’image d’une immense vague verte qui serait venue s’échouer, après avoir abandonné au ressac des écumes d’arbres et de pelouses sauvages, comme des algues accrochées aux récifs.
Depuis des siècles, les pèlerins viennent ici et arpentent les chemins sombres dans les sous-bois, ou gravissent les marches glissantes d’un antique escalier, égaré dans un dédale de rochers aux allures de géants mystérieux. Ils s’arrêtent parfois dans l’humble chapelle de la grotte de Marie Madeleine. Mais des sentiers plus escarpés encore guident les pas de ceux, plus courageux, qui veulent découvrir la splendeur des cimes et des grands espaces.
L’arrivée sur le col du Saint-Pilon est toujours un instant jubilatoire. La lumière qui nous arrive du ciel nous prédispose à la contemplation, elle donne la sensation de pouvoir toucher à l’horizon, vers le Sud, comme un immense miroir, l’azur de la Méditerranée. Nous étions si près de la mer sans le savoir, alors qu’il suffisait simplement d’un battement d’aile pour la survoler …
Assis sur la falaise, comme sur le rebord du monde, lorsque le mistral lave le ciel pour le rendre limpide, on peut voir au Nord s’illuminer les Alpes du Sud, derrière les monts Aurélien et Sainte Victoire, et plus loin encore, la croupe blanche du Mont Ventoux.
A la chapelle du Saint-Pilon, il reste au pèlerin encore une initiation.
Appuyé contre le mur de pierre qui sert de parapet au dessus du précipice, la vue sur le plateau donne le vertige aux plus courageux. Les soirs de la belle saison, une douce rumeur monte de la forêt il suffit alors de fermer les yeux et de se laisser bercer par le chant des merles et des grives, les cris stridents des hirondelles de rocher, le caracoulement des pigeons ramiers, et, à la tombée de la nuit, le hululement des rapaces nocturnes. Le vent d’automne y transporte parfois le parfum des sous-bois, et la brise printanière, celui enivrant des tilleuls sauvages.
Grisé d’avoir enfin touché le ciel comme un oiseau des grands espaces, pèlerins ou promeneurs n’auront plus le même regard à leur retour, et bien souvent ils reviendront sur cette montagne pour se ressourcer.
Extrait du livre « Contes et légendes en forêt de Sainte-Baume »
Edition 2008 - Christian Vacquié