La Madeleine provençale
Qu’est devenue Marie-Madeleine après l’Ascension de Jésus ? Serait-elle allée à Ephèse, en Asie Mineure, comme pourrait le laisser penser le tombeau qui lui est attribué et le culte qui lui est rendu dans ce lieu dès le VIe siècle ? Ou serait-elle venue évangéliser notre terre de Provence, avant de s’y retirer dans la solitude, d’y mourir et d’y être ensevelie ?
C’est ce qu’affirment, à quelques différences près, les biographies médiévales de Marie-Madeleine, dont les plus célèbres sont la Vie de Sainte Marie-Madeleine et de sa sœur Sainte Marthe, un écrit attribué à l’évêque carolingien Raban Maur (780-856), mais datant en réalité du XIIe siècle, et celle qui figure dans la Légende dorée de Jacques de Voragine (1225-1298), une œuvre qui rencontrera un grand succès, au point d’être pendant des siècles le livre le plus lu après la Bible.
Ces auteurs puisent leurs sources dans des manuscrits antérieurs contenant deux brèves biographies de Marie-Madeleine : la Vita eremitica beatae Mariae Magdalenae, fruit d’une légende composée en Italie méridionale entre 875 et 900, ouvrage auquel viendra s’ajouter, au XIe siècle, une seconde vie appelée Vita apostolica. Ces écrits transmettent probablement une tradition orale beaucoup plus ancienne sur la venue et la mission de Marie-Madeleine en Provence.
L’auteur anonyme de la Vita eremitica, afin de combler les lacunes sur les dernières années de Marie-Madeleine, s’inspire clairement de la figure de Marie l’Egyptienne, une prostituée convertie qui se retira quarante ans dans le désert de Judée et dont Sophrone de Jérusalem rédigea la vie au début du VIIe siècle. C’est ce qui explique que Marie-Madeleine fut souvent confondue avec Marie l’Egyptienne. L’auteur, tout aussi anonyme, de la Vita apostolica, dans le but de compléter la précédente, traite en détail de l’apostolat provençal de Marie-Madeleine, allant jusqu’à identifier avec précision le lieu de sa pénitence, la grotte de la Sainte-Baume, et celui de sa sépulture, Saint-Maximin.
Toutes ces données, réélaborées et réinterprétées, convergent bientôt dans la Legenda aurea de l’archevêque dominicain de Gênes, Jacques de Voragine, qui s’inspire abondamment de la littérature hagiographique magdalénienne alors connue. Selon cet auteur, Marie-Madeleine est donc bien venue en Provence où, après avoir évangélisé Marseille et Aix, elle s’est retirée dans un lieu solitaire. Contrairement à certains écrits antérieurs, le texte de Voragine présente la vie érémitique de Marie-Madeleine, non comme une pénitence mais comme une retraite contemplative, voire mystique, puisque sept fois par jour, aux heures canoniales, la Sainte est élevée dans les cieux par les anges pour y entendre l’Office divin. La légende médiévale de Marie-Madeleine n’est donc pas uniquement celle de la pénitente de la Sainte-Baume ; elle est aussi celle de l’évangélisatrice, puis de la contemplative, deux visages que montre cette femme dans les évangiles ; deux vocations distinctes que la Marie-Madeleine « unifiée » de la tradition occidentale et de la liturgie latine a réunies en une seule.
Edition 2017 - Mgr Jean-Pierre Ravotti