Le clin d'oeil de Marie-Madeleine
J’ai quitté la Sainte Baume voilà déjà neuf mois, pour me rendre dans le Sud-ouest où d’autres défis et expériences m’attendent. Il est des endroits que l’on quitte avec bonheur, comme on tire un trait sur une période de sa vie que l’on sait terminée. Ce ne fut pas vraiment le cas en ce qui me concerne, car mes ancrages en Sainte Baume étaient multiples, faits d’amitiés et d’amours biens vivants aujourd’hui, sur une terre puissamment habitée par la présence de Marie Madeleine. Me voilà sur mon nouveau territoire, où de nouvelles connaissances se créent, et surtout une retrouvaille fondamentale avec une amitié de 30ans, une belle amie qui n’a jamais quitté son Ariège natale. Passionnée par les lieux de son enfance dans lesquels elle est profondément ancrée, elle n’a de cesse que de partager avec moi tous les trésors qu’elle y a dénichés, avec cette impatience qui la caractérise. Et moi je lui raconte la Sainte Baume, les émerveillements qui furent les miens, la grotte de Marie Madeleine en direction du St Pilon, une fois au St Pilon cette vue à 360° qui vous remplit de bonheur tant le spectacle est majestueux et inattendu…Un peu étonnée, et je le comprendrai plus tard, elle me dit : « Il faut que je t’emmène au Monastère de Carol ».
Tout commence par le rêve d’un homme, le Père Louis de Coma, né en 1822 à Foix dans une famille aisée, son père est un architecte reconnu qui a fait l’acquisition du Domaine de Carol. Louis de Coma aurait pu faire carrière dans la hiérarchie religieuse. C’est une ambition qu’il n’a pas, davantage tenté par la poursuite de ses études à St Sulpice à Paris.Son évêque, en manque de prêtres s’opposera à ce projet. Cependant pour parfaire sa formation le Père de Coma partira à Amiens chez les Jésuites, Ordre auquel il appartiendra. Le décès de son père marque un tournant décisif dans sa vie, il décide de rejoindre le domaine familial et il orientera sa pratique sur les prières et messes pour les défunts, qui lui permettront de gagner beaucoup d’argent. Aidé de son frère Ferdinand, architecte reconnu, il ambitionne, de transformer le Domaine de Carol en un centre religieux. La construction de l’Eglise commence en 1956, mais ce projet ne s’arrête pas là tant ses aspirations sont démesurées. Il bâtit un monastère et un couvent dans le but d’attirer une communauté religieuse. Il réalise aussi un chemin de croix qui part d’une grotte artificielle dans laquelle il fait placer une statue de Marie Madeleine. Une fois terminé, l’ensemble devait évoquer le jardin de Gethsémani, là où le Christ fut arrêté au pied du mont des Oliviers. Mais le prêtre ira de déboires en déboires. Il ne parvient pas à installer dans la duré une communauté religieuse, les bâtiments sont bientôt vides, le rêve d’un centre religieux s’éteint dans l’amertume et le ressentiment. Louis de Coma finit sa vie seul, et meurt sans avoir désigné un héritier. La famille Barau fait l’acquisition du domaine contre l’obligation de destruction. Aujourd’hui l’Eglise a été dynamitée, il ne reste plus que le bâtiment dit le couvent, transformé en maison d’habitation, et la grotte artificielle aménagée de stalactites tant le souci de réalisme était présent lors de sa fabrication. Et c’est là que mon amie entreprend de me conduire.
L’endroit est bien tel que décrit, une partie faite vestiges et un bâtiment debout restauré, qui offre des chambres d’hôtes. Puis ce petit chemin qu’il faut connaitre, la grotte qu’on atteint en passant par dessus des barbelés, c’est glissant faut faire attention. On pénètre dans la grotte…. On a beau le savoir qu’elle est là, on est quand même saisies par une forte émotion, la statue est belle, et bien qu’artificiel, le lieu est une invite au recueillement, au silence, à la contemplation.
Tout cela prend un sens particulier pour moi, car me voilà à des centaines kilomètres de la Sainte Baume et pourtant reliée à elle, Marie Madeleine. « Femme innombrable » comme la décrit Jean Yves Leloup échappant à toute définition, inscrite dans une identité jamais figée toujours renouvelée, échappant à l’espace et au temps. Ainsi, la Ste Baume n’est pas sa seule demeure…
Edition 2015 - Corinne Sanchez